Discerner les signaux faibles pertinents

À l’issue d’un échange passionnant sur les signaux faibles animé par Daniel Cheron dans le cadre d’Apia (Administrateurs Professionnels Indépendants Associés), reste une question fondamentale : comment discerner les signaux faibles pertinents ? Dans le bruit incessant, entre fake news, signes trompeurs et/ou insignifiants, comment se repérer ?

Complexité du contexte

Après une croissance historique de son chiffre d’affaires en 2018 (+14,6 %), à 3,6 milliards d’euros, le groupe se montre sceptique sur sa capacité à atteindre cette année son objectif de + 10 %. Nous prenons [ce ralentissement] au sérieux, sans sombrer dans le pessimisme,

souligne un porte-parole du groupe familial de Stuttgart Trumpf, spécialisé dans les machines à découpe laser.

« Prise au sérieux et scepticisme sans sombrer dans le pessimisme » … posture toute en subtilité. Qui est destinataire de ce type de message: le marché ? Les actionnaires ? Les salariés? Les concurrents ? Face aux inquiétudes géopolitiques et climatiques, les dirigeants déroutés sont légion. La complexité réduit la capacité à repérer ces signes, et donc à négocier les virages stratégiques vitaux. Ce monde d’incertitudes fragilisent les hypothèses fondamentales qui guident perception et décision.

Négliger les signaux faibles et naviguer à vue?

Si rien n’est prévisible, que tout est possible, à quoi bon écrire des plans à moyen terme, des stratégies ? A quoi bon perdre du temps avec des instances de gouvernance ? Soyons agiles en day to day ! Avec une acoustique déplorable, difficile de voir loin…

85% des métiers de 2030 n’existent pas encore selon une vingtaine de chercheurs mandatés par l’Institut du Futur et Dell (mars 2017). L’étendue de cette terre inconnue est vertigineuse. D’autant qu’il s’agit d’un futur proche, tellement proche que cela semble inconcevable. Comment anticiper l’incertitude et l’inédit ?

Les data n’ont jamais été aussi nombreuses – sondages, prévisions économiques, études… – pourtant leur intelligence est souvent mise en défaut. Or les plus grandes erreurs de décisions ne sont pas le fruit d’un manque de données, qu’il s’agisse de la faillite de Lehmann Brothers, du Printemps Arabe, de l’accident de Fukushima, ou encore de l’élection de Donald Trump. Dans l’excellent Bienvenue en incertitude! Principes d’action pour un monde de surprises Philippe Silberzahn enfonce le clou : les erreurs ne proviennent pas d’un manque de signal, le Big Data et tous les algorithmes ne sont pas la panacée. En revanche des hypothèses erronés empêchent le repérage des signes signifiants, a fortiori lorsqu’ils sont inédits voire impensables. L’impensable amène au déni, comme l’a si bien décrit la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross au stade premier de sa devenue célèbre courbe de deuil.

Débusquer les cygnes noirs

Philippe Silberzahn pointe une erreur méthodologique majeure, consistant à confondre le management des risques – basé sur la notion de récurrence – avec la navigation en incertitudes, basée sur l’identification de divergences porteuses de futur. Tout concourt à négliger l’inédit : marginal, improbable, inaudible, il échappe à la lecture cartésienne et objective basée sur un consensus implicite d’hypothèses de travail propres aux comités de direction et à leurs conseils.

Pour repérer les cygnes noirs, une perception systémique, culturelle et sensible de l’univers dans lequel intervient l’entreprise est indispensable. S’y ajoute un art du questionnement des hypothèses et des croyances, qualifié de socratique par l’auteur de Bienvenue en Incertitude : poser des questions plutôt que se ruer vers les réponses, pour éviter le piège de l’évidence. Enfin, prendre en compte les cas particuliers, le singulier dans ses détails pour accueillir le bruissement de l’aile du papillon. Les généralités, hors sol et chiffrées, ne sont pas porteuses de sens ni d’apprentissage. Seules des conversations approfondies, concrètes et confrontantes permettent de discerner le signal faible du bruit.

Rôle réinventé de la gouvernance

In fine, le rôle fondamental des conseils d’administration et de surveillance ne réside-t-il pas dans 3 points ?

Aider l’entreprise à :

– apprendre à apprendre en la questionnant sans cesse et sans tabou, même sur ses évidences, sur ses fameux fondamentaux et ses hypothèses structurantes,

– y voir clair sur ses forces et ses angles morts pour la rendre plus consciente et plus forte intrinsèquement

–  éclairer un peu plus loin la trajectoire en associant la diversité de ses antennes et de ses capteurs, pour constituer avec elle et ses parties prenantes un maillage sensible et sensitif ancré dans sa réalité.

Pour une gouvernance au cœur de ces trois responsabilités, il faut un conseil divers, engagé, curieux et tenace. Son efficacité repose sur un pacte de bienveillance explicite. L’art du questionnement tel qu’évoqué plus haut nécessite une absolue confiance entre le management et le conseil, condition qui n’est pas toujours au rendez-vous, hélas.

Finalement, il ne s’agit peût-être pas tant de réinventer la gouvernance, mais de renouer avec ses origines maritimes au service des odyssées entrepreneuriales en temps incertains.

Enfin et surtout, un cygne faible peut être noir, … ou blanc !

 

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